[ Création | Coproduction ]

hamlet requiem

D’APRÈS WILLIAM SHAKESPEARE
ADAPTATION, TRADUCTION & MISE EN SCÈNE CYRIL COTINAUT

avec Thomas Rousselot, Stephen Tordo, Rachel Verdonck, Cyrielle Voguet assistante à la mise en scène Valérie Paüs lumière Emmanuel Pestre production TAC.Théâtre coproduction Théâtre National de Nice - CDN Nice Côte d’Azur avec le soutien du Dispositif La Fabrique Mimont - Cannes et La Bourse du Travail - Avignon

Continuer à vivre après la mort : telle est la mission que confie Hamlet à Horatio avant de trépasser. C’est par le théâtre et par les acteurs qu’Horatio va tenter de raconter l’histoire du plus étrange des héros Shakespeariens. Qui est-il ? Comment le jouer, comment l’incarner ? Quatre acteurs – deux hommes, deux femmes – s’emparent du chef d’œuvre de Shakespeare et tentent de répondre à ces questions : pourquoi Hamlet est l’une des pièces les plus jouées au monde ? Que contient-elle, au-delà même de la fable, qui explique son statut de « mythe moderne » ?
Et enfin, pourquoi le théâtre est un art unique et indispensable à notre humanité ?
« Où est le spectacle ?
Si c’est malheur et miracle, cessez votre recherche. Vous êtes à la bonne place. »
Hamlet, Acte V Scène 2
Après les tragiques grecs, le talentueux Cyril Cotinaut se confronte à l’un de nos plus grands mythes littéraires, dans une quête toujours renouvelée de philosophie et d’universalité. Son Hamlet tente de concilier désir d’éternité et éphémérité du théâtre. Saisissant !

Comme un miroir de la société contemporaine, ce théâtre nous confronte à notre essence la plus intime : être ou jouer à être, telle est la question.

RENCONTRE EN BORD DE SCÈNE LES 27, 28, 29 ET 30 MARS.

Interview Cyril Cotinaut

Propos recueillis par Caroline Audibert

Vous avez longtemps tourné autour de cette pièce mythique de Shakespeare, pourquoi faire le pas aujourd’hui ?

Je voulais créer une petite forme, mais je suis toujours rattrapé par les grands textes et les grands auteurs. J’ai travaillé les grands tragiques grecs, Sophocle, Euripide et Eschyle. A croire qu’un auteur en entraîne un autre, j’ai glissé vers Shakespeare qui a été inspiré par ces dramaturges. J’ai déjà travaillé sur Shakespeare et j’ai fini par être rattrapé par Hamlet. Mais c’est un Everest ! Plus compliqué à escalader que Timon d’Athènes que j’ai monté l’an dernier, pièce que peu de gens connaissent, ou même d’Electre ou Agamemnon que j’ai montés auparavant. Hamlet, tout le monde attend la réplique « Être ou ne pas être… ». Monter Hamlet, c’est accepter de souffrir la comparaison... Mais j’ai également décidé de présenter une variation autour de la pièce et non la pièce intégrale. J’ai souhaité travailler ce grand classique dans une économie de simplicité, avec peu d’acteurs.
Dans mon parcours de metteur en scène, J’ai suivi intuitivement le fil d’un héritage, celui d’une littérature qui aborde les grandes questions existentielles. Chez les Tragiques grecs, il y a une étude de l’homme face à son destin. Chez Shakespeare, c’est l’homme dans la société des hommes. Les dieux ne sont plus vraiment là, on est dans un univers plus horizontal d’une certaine façon, c’est plus moderne. C’est comme si Shakespeare avait renouvelé les formes antiques grecques en les mettant au cœur des hommes et non plus dans ce conflit avec la fatalité, les dieux… Les hommes sont devenus responsables de leur destin. Shakespeare, notre contemporain, le titre du livre de Jan Kott, dit bien la chose. Shakespeare est à mes yeux une passerelle entre un théâtre berceau de la civilisation antique et la société actuelle. Avec Shakespeare, on passe sans cesse d’un lieu à un autre, d’une temporalité à une autre, il n’y a plus l’unité de temps et d’action. C’est plus décousu, plus complexe, et donc plus proche de notre vie moderne.

Quelle est la résonnance de l’histoire d’Hamlet pour nous aujourd’hui ?

J’aime bien dire qu’Hamlet est étudiant, qu’il a une copine, Ophélie. La vie est tranquille. D’un coup, son père meurt, réapparaît sous la forme d’un spectre qui réclame vengeance, sa mère épouse son oncle, qui est justement le meurtrier de son père… Et cet homme d’une trentaine d’années se dit : je veux bien participer du monde, mais pas celui-là, pas ce vieux monde aux principes et aux thèmes archaïques. Je ne jouerai pas dans cette mascarade !
On parle souvent de l’hésitation de Hamlet qui met cinq actes avant de se décider à venger son père. Cela a fait couler beaucoup d’encre. Je pense personnellement qu’Hamlet n’a pas envie de jouer dans la pièce qui porte pourtant son nom, où règnent l’inceste, l’adultère, le meurtre, la vengeance comme si celle-ci était naturelle, évidente. Il n’y a aucune morale ! Et on s’étonne qu’Hamlet refuse ce monde devenu fou ?! Le meilleur moyen de le combattre, confie-t-il, c’est « d’affecter une humeur bouffonne », c’est-à-dire de faire semblant d’être fou. La position d’Hamlet tient en cela : je vais peut-être davantage réussir en jouant le jeu du monde qu’en me mettant en marge du monde. C’est en cela que c’est très moderne.

Hamlet est-il à vos yeux un mythe moderne en quelque sorte ?

Absolument, Hamlet fait partie de nos quatre grands mythes modernes, aux côtés de Don Juan, Don Quichotte et Faust. Un mythe moderne, c’est un endroit où l’homme d’aujourd’hui peut se retrouver. On a tous quelque chose de Don Juan dans la volonté de l’amour ou dans le rapport au sacré et au sacrilège, nous sommes tous des Hamlet qui nous posons la question : qu’est-ce que je fais dans ce monde-là ? Nous sommes tous des Don Quichotte qui avons parfois une imagination débordante, qui voyons en Dulcinée la femme idéale et nous battons contre des moulins à vent ; nous sommes tous des Faust capables de vendre notre âme pour l’immortalité. Ces quatre mythes caractérisent l’homme moderne. Je commence par Hamlet, et je n’ai jamais eu aussi peur !

Sur quel axe principal s’articule votre interprétation d’Hamlet ?

Le projet que j’ai, ce n’est pas de raconter l’histoire d’Hamlet. Cette histoire, je pars du principe que tout le monde la connaît. Ce que je souhaite, c’est tenter de faire apparaître l’essence universelle de la pièce. C’est-à-dire, au-delà la fable, de quoi cette pièce nous parle, à nous qui vivons ici et maintenant. Que fait-on lorsqu’on est dans une situation où l’on ne se retrouve pas ? On joue le jeu du monde, on s’en exclut ? C’est cela dont parle Shakespeare. Hamlet ne dit pas « Je m’en vais », il dit « Je reste », et aussi « Comment je peux réparer ? ». C’est l’un des axes dramaturgiques que je voudrais étudier, celui de l’héritage. « Les temps sont détraqués, ô destin maudit, pourquoi suis-je né pour remettre tout cela en place », dit Hamlet. De la même façon, nous léguons un monde à nos enfants et leur disons, d’une certaine manière : réparez-le. C’est compliqué, il faudrait réparer le monde sans pour autant accuser ceux qui nous ont précédés, faire mieux que nos parents, sans les trahir… Quel dilemme ! On se trouve là pour moi au cœur d’Hamlet.

Dans votre version d’Hamlet, vous ouvrez la pièce par la mort d’Hamlet. Pourquoi ?

C’est en effet mon projet. À la fin, Hamlet dit à Horatio : « Ne meurs pas, garde encore un peu le souffle céleste dans ton corps et transmets ce que j’ai été. Quel nom blessé je laisserais si les choses restaient ignorées ». Il y a une forme d’immortalité par la transmission. Il confie à Horatio le soin de raconter son histoire. De la même façon que l’on confie à un acteur le soin de raconter l’histoire d’Hamlet.
Le requiem est une messe composée par les vivants pour honorer les morts. On est à un endroit très intéressant. C’est à l’acteur d’élaborer une sorte de chant funèbre, de raconter. On aurait cette mission, afin que ces auteurs, ces personnages, ces histoires ne s’évaporent pas, de leur prêter nos voix et nos corps pour les réincarner sur la scène. Pour moi, la fin d’Hamlet est un appel au théâtre comme un appel à l’immortalité, l’immortalité des textes, des hommes, de ce qu’ils ont vécu. Et c’est d’autant plus fort que c’est une immortalité très relative. Hamlet demande à Horatio de raconter son histoire, de la même façon que l’acteur, qui mourra un jour à son tour, raconte l’histoire à des jeunes qui vont eux-mêmes s’en emparer et la jouer différemment. Il y aurait quelque chose de cyclique dans cette pièce. D’où le souhait de commencer par la fin.

D’où l’idée qu’il s’agit d’un requiem ?

Oui, sa mort fait écho à la mort d’Œdipe. Que fait le héros grec qui a couché avec sa mère et tué son père ? Il demande aux dieux que ses fils se partagent un territoire par le fer. En d’autres termes, il demande aux dieux que ses fils s’entretuent. Quelle étrange prière… S’il fait cette demande, c’est qu’il souhaite l’extinction de sa propre race qui a conduit à ce que la ville de Thèbes soit pestiférée. Pourquoi perpétrer une race viciée ? C’est finalement une prière incroyablement humaniste. Je sens que dans Hamlet, il y a aussi la volonté d’une extinction, un peu comme s’il disait à son défunt père : Je t’ai vengé, mais je ne veux pas vivre avec ce sang sur les mains, il y a eu trop de mort. J’ai réussi à éteindre quelque chose mais je dois m’éteindre avec cette chose-là.

D’autres axes dramaturgiques qui motivent-ils la création de votre pièce ?

Mon dernier axe dramaturgique, c’est la nécessité du théâtre. Bien sûr on sait que dans Hamlet il y a du théâtre dans le théâtre, mais la question que je pose, c’est pourquoi ? Il y a une phrase qui m’intrigue beaucoup. Hamlet dit : « C’est par le théâtre que je vais piéger la conscience du roi ». C’est étrange d’utiliser le théâtre pour piéger le roi meurtrier Claudius. Qui ferait ça ? Si on le ramène à notre réalité, il y a peu de chance que le procédé fonctionne ! Qui se dénoncerait alors que le meurtre est dévoilé aux yeux de tous ? Il y a des choses dans Hamlet que je trouve injouables. Dans ce spectacle, cela m’intéresse d’explorer ce qui n’est pas jouable. C’est-à-dire ce qui ne va pas de soi, ces idées de Shakespeare qui, si on y réfléchit, sont étranges, voire peu crédibles. En un mot, ces choses, injouables pour un acteur, qui révèlent probablement de profondes interrogations sur le moyen du théâtre.
J’ai d’ailleurs relevé beaucoup de vocabulaire issu du théâtre dans la pièce. Par exemple, Hamlet traite le conseiller du roi Polonius de « vieux pitre ». Or un pitre, c’est aussi une forme théâtrale, c’est un bouffon. Rosencrantz est qualifié d’« éponge », Ophélie de « prostituée ». Je voudrais montrer que c’est une pièce qui interroge le théâtre lui-même et le rôle de l’acteur. Dans le premier monologue, Hamlet dit qu’il y a des choses en lui qu’il peut jouer, mais qui dépasse le paraître. Comment la mère peut-elle être au bras de Claudius comme elle l’était de son mari ? Est-ce à dire qu’une actrice peut jouer de la même façon son rôle, quel que soit l’acteur qui est à ses côtés ? Est-ce qu’un acteur est ou est-ce qu’il paraît ? Que veut dire jouer ? Je suis Hamlet, je joue à être Hamlet, je parais Hamlet ? Si on lit la pièce de manière plus verticale, sur l’art du théâtre, cela devient encore plus intéressant. J’aimerais que dans le texte de Shakespeare on entende cela. J’aimerais ne pas rester l’otage de la fable pour faire entendre ces dialogues sur le jeu d’acteur, sur le théâtre. Le théâtre, est-ce un métier du mensonge, de l’illusion ? Où se loge la vérité ? Est-elle souhaitable, dangereuse, sur un plateau de théâtre ? C’est ce qui m’agite le plus dans la pièce. Cela fait d’ailleurs maintenant trois ans que je mène un vaste laboratoire autour de La Mouette de Tchekhov où il y a un tel questionnement sur le théâtre. Je sens un lien très fort entre ces deux pièces, entre Hamlet et Treplev. Il est possible que La Mouette me serve de grille d’analyse pour Hamlet, comme une clé cachée.

Votre version se base-t-elle sur une nouvelle traduction ?

Oui, la retraduction du texte est nécessaire. Le choix d’axes dramaturgiques implique de requestionner le sens des mots pour que les thèmes s’articulent correctement. Il me faut traduire la pièce pour révéler par exemple toutes ces références au vocabulaire théâtral.

Certaines adaptations de la pièce vous ont-elles inspiré ? Qu’en retirez-vous ?

J’ai vu le très beau Hamlet de Peter Brook, celui des réalisateurs Franco Zeffirelli et Kenneth Branagh, la pièce du metteur en scène Thomas Ostermeier et son prologue génial ! Mon souci, c’est qu’à chaque fois, je me fais rattraper par l’histoire, la situation, les personnages. Au-delà la fable, je voudrais faire le pari de ne pas raconter l’histoire et parce que les spectateurs en connaissent les grandes lignes, ils pourraient la mettre de côté et accéder aux enjeux philosophiques et donc à l’universalité de la pièce. Je souhaite que chaque spectateur dans la salle soit plongé dans ses propres questionnements : Être, ne pas être ? Comment vivre avant ma mort ? Quel est le rapport que j’entretiens avec le monde ? Est-ce que j’essaie de le changer, d’y participer, de le fuir ? J’aimerais que les spectateurs puissent se poser ces questions.

saison 2018-19
hamlet requiem
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