[ Création | Production ]

lear

D’APRÈS WILLIAM SHAKESPEARE
TRADUCTION, ADAPTATION & ŒIL EXTÉRIEUR À LA MISE EN SCÈNE MARIE PAULE RAMO
MISE EN SCÈNE & SCÉNOGRAPHIE RENATO GIULIANI

avec Karim El-Andari, Renato Giuliani, Stella Giuliani musique Jean-Baptiste Boussougou consultante & coordinatrice LSF Joëlle Stefanini costumes Elisa Octo assistante à la mise en scène Milica Milosavljevic assistants stagiaires Elsa Thoreau, Nathaniel Baker stagiaire Erasmus Marianna Bruni lumière Emmanuel Guedj son Gwenaël Gaudin production Théâtre National de Nice - CDN Nice Côte d’Azur

Remerciements à CIE Les Anonymes Créatures (Lausanne), Ateliers de la Diacosmie- Opéra Nice Côte d’Azur, Pierre Bellay et Théâtre Francis Gag, Théâtre de l’Eau Vive.

Le roi Lear découvre avec un désenchantement amer la duperie du monde. Les masques tombent, le drame se noue, il bannit sa fille adorée, la guerre se prépare, la folie le guette.
Bouleversant de vérité, Renato Giuliani nous fait entrer dans la tête d’un roi qui perd ses esprits. Nous voilà remués par ses tempêtes intérieures, ses éclairs de lucidité et ses délires schizophréniques. Actrice délicieuse et touchante, sa propre fille Stella Giuliani incarne la nouvelle génération, dont le personnage tragique de Cordélia qui accorde à son père la plus sublime des révélations, celle de l’amour véritable. Le jeune acteur malentendant, Karim El-Andari, complète ce trio en interprétant le fou du roi. Par sa gestuelle poétique et ses répliques philosophiques, il exprime les affres de son maître.

Une adaptation saisissante qui s’aventure sans retenue dans les profondeurs de l’âme humaine.

Une adaptation originale et intimiste de la tragédie shakespearienne transmise par un trio inattendu. Émouvant et surprenant.

Accès à répétition le vendredi 29 mars de 19h à 20h30, en salle de répétitions.
Entrée libre, places limitées, réservation indispensable :
emmanuelle.duverger@theatredenice.org
laurie.gerardo@theatredenice.org
RENCONTRE EN BORD DE SCÈNE LES 3, 4, 5 et 6 AVRIL.

SPECTACLE DIRECTEMENT ACCESSIBLE AU PUBLIC SOURD OU MALENTENDANT
La représentation du 6 avril à 15h30 est une représentation signée.

Interview Renato Giuliani

Propos recueillis par Caroline Audibert

Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans le personnage du roi Lear ?

Lear est une pièce très puissante qui résonne avec l’actualité, notamment avec la question de l’héritage, de la transmission. Le roi Lear veut transmettre le royaume à sa descendance, il représente la grandeur et la magnanimité. Mais il a une faiblesse, celle de l’aveuglement de l’amour que ses trois filles ont pour lui. Il projette dans cet amour une vision idéalisée, il voit les choses comme il souhaiterait les voir et non comme elles sont. L’amour comporte cette part d’idéalisation de l’autre et la déception vient à partir du moment où on se rend compte que l’autre est différent de ce que l’on croyait. C’est alors le temps du désenchantement. C’est ce que va vivre le roi Lear.
Cela me tient à cœur d’interpréter ce personnage tellement humain. Il a eu une vie de réussite, celle d’un bon roi qui pensait administrer ses sujets avec équité et sagesse. Mais cela se révèle être une construction intérieure. Il s’est créé un masque avec tout ce qui lui plaît, comme ces peintres du XVIIIe qui embellissaient les portraits de leurs commanditaires. A la veille de léguer son royaume et de se retirer de la vie publique, Lear demande à ses trois filles d’exprimer leur amour à son encontre. La flatterie des deux ainées, Goneril et Régane, comble Lear, mais la benjamine, Cordélia, sa fille préférée, parle avec sincérité, sans fioriture ni dentelle. Lear, qui attendait d’elle plus d’élan, entre dans une colère démesurée, la déshérite et la bannit.
L’histoire démontre à Lear les affreux plans de Goneril et Régane qui rivalisent de ruses pour se défaire de leurs obligations. C’est alors qu’elles dévoilent leur vrai visage et leur hypocrisie. Lear sombre dans un profond désarroi. C’est un tel choc qu’il perd la raison. Son côté sombre jaillit.
Dans cette interprétation, je pointe cet aspect presque schizophrénique de sa personnalité car c’est le moment où paradoxalement il devient lui-même.

La pièce de Shakespeare est une grande fresque qui compte de nombreux personnages. Vous choisissez de l’interpréter à trois comédiens. Pourquoi ?

Mon parti-pris est celui d’une pièce intimiste qui nous fait rentrer dans la tête du roi. Je cherche à faire ressortir la puissance émotionnelle de la pièce. Je me mets dans la peau de Lear aux côtés d’une comédienne, ma propre fille Stella Giuliani. Elle interprète elle-même le rôle des trois filles du roi. Elle est issue de la Haute Ecole des arts de la scène de Suisse romande, La Manufacture (Lausanne), et il y a longtemps que je souhaitais travailler avec elle. Pour moi c’est très fort de pouvoir jouer ensemble dans cette pièce qui parle des rapports entre générations.
Enfin, la pièce repose sur un autre personnage important, le fou du Roi. Lear et son fou sont très liés : quand le roi est chassé, seul son fou le suit. Il le soutient dans ses délires. Il est interprété par un jeune comédien malentendant, Karim El-Andari, avec qui j’ai travaillé pendant trois ans au sein de l’Institut d’éducation sensorielle Clément Ader, à Nice. Ce garçon est un génie de la gestuelle ! Il parle peu, s’exprime à travers le corps, et a développé un langage singulier et fascinant.

C’est donc une adaptation de la pièce que vous proposez ?

Absolument. C’est une adaptation mais je tiens à rester fidèle à l’esprit de Shakespeare. Je n’ai pas encore décidé dans quel univers les personnages évolueront. Je sais simplement que je ne les vois pas dans l’univers historique que décrit Shakespeare, mais davantage dans un monde contemporain, peut-être futuriste. Je suis en train d’explorer différentes hypothèses. Pour ce qui relève du texte, Marie-Paule Ramo, qui a souvent travaillé avec Irina Brook, travaille sur l’adaptation et les dialogues dans un esprit de sobriété.

Quelles autres interprétations de la tragédie shakespearienne vous ont marqué ou influencé ?

Il y a longtemps, j’ai été fasciné par le chef d’œuvre de Kurosawa, Ran. C’est la version japonaise de la tragédie du Roi Lear transposée à l’époque des samouraïs. Il y a une scène en particulier qui m’a marqué et m’inspire aujourd’hui, celle du roi dans le désert. La solitude du personnage était très poignante dans ce paysage nu.

Lear, est-ce le portrait d’un homme qui bascule dans la folie ?

Je vois Lear comme un grand roi à la façon du seigneur Lorenzo dei Medici, qui aimait s’entourer d’art, de belles choses, sans pour autant avoir la conscience de leur portée. Lorsqu’il voit que toute cette beauté dont il s’était entouré dans son royaume et qu’il avait donné à ses filles n’est pas grand-chose face au cruel désenchantement qu’il traverse, il perd la raison.
En vérité, Lear s’est laissé piéger par lui-même. Il représente un monde de faux semblants, d’apparences trompeuses, malgré lui. Il ne s’est pas rendu compte qu’il était un pion dans un jeu qu’il ne contrôlait pas. Ses deux filles qui le trahissent représentent l’avidité et l’ambition maladive. Cela me fait penser à l’un des aspects de la société marchande qui nous attire avec des choses apparemment magnifiques, séduisantes, comme ces plats cuisinés alléchants préparés avec des ingrédients peu recommandables pour notre santé. Et nous rejetons la simplicité directe, comme Lear rejette au départ sa troisième fille Cordélia, justement parce qu’elle ne fait pas partie de ce jeu-là.
C’est alors qu’il éprouve la solitude, qui le fait accéder à une forme de vérité. Il est à la pointe de lui-même et selon le côté où penche la balance, il peut devenir sage ou fou. Il n’a pas la folie d’un Zarathoustra qui chante, danse et accède à une forme de liberté. Il endure une souffrance psychique fondamentale, une souffrance qui peut le mettre à genou et le détruire.

Dans la pièce de Shakespeare, il y a bien d’autres personnages et conspirateurs… Qu’en faites-vous ?

Tous ces personnages vont être présents dans l’esprit de Lear sous la forme de voix, de souvenirs qui remontent à la surface, ou peut-être que ce sont des fantômes comme dans Macbeth. Tel un schizophrène, le roi dialogue avec ces voix, il construit tout un conte dans lequel les personnages existent vraiment, émanent de lui. Et le fou du roi fait semblant de les entendre aussi, par fidélité et respect pour son maître.
Il y a cette scène inoubliable où Lear et son fou bravent une violente tempête. Lear sent physiquement le froid, la pluie, le vent, mais la tempête n’est que dans sa tête ! Le fou aussi joue la tempête car il n’a pas le cœur de le laisser seul avec ses délires, un peu comme Don Quichotte et Sancho face aux moulins à vent. Lear se demande pourquoi il subit ces injustices. Il ne comprend pas qu’il soit possible d’être dépossédé de sa dignité après avoir tout donné à ses filles ainées. Si malgré cela il n’a pas été emporté par la folie – cet abîme de la solitude – c’est grâce à son fou !

En quoi ce personnage s’adresse-t-il à nous ?

J’aimerais mettre en lumière des aspects de l’être humain qui restent tapis dans l’ombre et qui méritent réflexion. Je pense que si la réalité qui nous entoure est ce qu’elle est actuellement, c’est qu’il y a trop d’inconscience, de manque de réflexion. Le piège que l’on subit, c’est qu’on se retrouve de plus en plus seul. Or les effets de cet isolement sont très néfastes. La société s’en accommode bien : plus on est seul, plus on devient de bons consommateurs tentés de remplir notre existence par des produits séduisants. En vérité on se trouve devant un abîme, celui de la solitude. C’est la condition même de Lear.

Lear sort de sa solitude dans la relation avec sa fille Cordélia qui éprouve pour lui un amour sincère. Y a-t-il un moment de rémission ?

Pour moi, la guérison vient grâce à une chose : la beauté. La beauté a un pouvoir de guérison incroyable. Elle amène la joie, le rire, la douceur et un tel sentiment de bien-être qu’elle permet de dépasser toutes les difficultés.
Quand Lear se rend compte de son aveuglement, il est trop tard ! La guerre se prépare, sa fille Cordélia est capturée. Victime de la machination d’Edmond, elle va mourir. À la fin de la pièce, nous assistons enfin aux retrouvailles émouvantes entre ce père et sa fille, mais la tragédie sévit : Lear prend conscience qu’il est responsable de la mort de sa fille. Il n’arrive pas à temps pour la sauver. Au lieu de reconnaître ses erreurs et ses défaillances, Lear est en colère : il reste prisonnier du passé.

C’est l‘homme du ressentiment dont parle Nietzsche, aux antipodes du Créateur ?

Oui, un petit peu. Il s’enferme dans le regret, reste tourné vers le passé. Nous sommes souvent prisonniers de cette attitude. On habite très rarement le présent, on est happé par le passé ou tendu vers l’avenir. Or à chaque instant, un nouveau monde se crée et on peut se rendre maître de ce nouveau monde et le créer pas à pas !

Votre pièce nous exhorte-t-elle au désir de vivre le moment présent ?

Il y a un conte zen à ce sujet que j’aime beaucoup et qui représente très bien ce concept. C’est l’histoire d’un homme qui marche dans un champ. Soudain, il se trouve devant un tigre. Il se sauve et tombe dans un ravin, se rattrapant à une racine de vigne sauvage. Au fond du ravin, un autre tigre l’attend pour le dévorer. Seule la vigne le soutient. Sur ce, deux souris commencent à ronger la racine de la vigne. L’homme alors aperçoit juste à côté une magnifique fraise bien mûre. Se tenant d’une seule main, il cueille la fraise. « Qu’elle est savoureuse ! » Lear n’est pas comme cet homme. Il ne voit pas le présent, il est pris dans ses tempêtes intérieures. Il ne voit pas la fraise. Il arrive trop tard pour sauver sa fille qui rend son dernier souffle.
J’ai beaucoup réfléchi à ce final et je me dis qu’à cet instant précis, un éclair le traverse, l’émotion, l’amour véritable de sa fille Cordélia. Il se rend compte qu’il peut profiter de ces deux dernières secondes avec sa fille, cet instant de beauté suspendu qui est toute une éternité : oh la savoureuse fraise... !

saison 2018-19
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