[ Coproduction ]

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CONCEPTION & MISE EN SCÈNE YOANN BOURGEOIS

avec Mehdi Baki, Valérie Doucet, Olivier Mathieu, Émilien Janneteau, Florence Peyrard, Lucas Struna assistante artistique Yurie Tsugawa lumière Jérémie Cusenier costumes Sigolène Petey son Antoine Garry réalisation des machineries Yves Bouche, Julien Cialdella conseil scénographique Bénédicte Jolys direction technique Albin Chavignon stagiaire costumes Pauline Hervouet production Les Petites Heures - La Scala - Paris coproduction Théâtre de Namur, Printemps des Comédiens - Montpellier, Théâtre National de La Criée - Marseille, CCN2 - Grenoble, Célestins - Lyon, Le Liberté - scène nationale de Toulon, Mars - Mons, Théâtre National de Nice - CDN Nice Côte d’Azur

Imaginez des corps perpétuellement en mouvement, attirés par le vide, traversés de forces contraires bien plus grandes qu’eux. Imaginez des acrobates, des danseurs suspendus à des poulies, dégringolant un escalier qui ne mène nulle part, disparaître dans des trappes ou tourner à l’infini. Imaginez ce grand mouvement continu de réactions en chaîne parmi les édifices instables. Imaginez les acteurs s’élever, et avant de retomber, vivre cette suspension comme une grâce du moment présent.
Reflétant une insatiable quête d’équilibre et un désir fou de liberté, cette nouvelle création réunit toute la grammaire du talentueux chorégraphe à la poursuite d’un langage universel. Après dix ans de recherches, Yoann Bourgeois nous livre son plus beau spectacle, une poétique de l’espace qui met à nu la fragilité humaine.

Laissez-vous surprendre par le théâtre circassien de Yoann Bourgeois, une mécanique des corps et du vertige défiant toute gravité.

« Sept artistes circassiens d’exception s’amusent de ces dédoublements pour rebondir sur des trampolines et disparaître dans les dessous avant de rentrer par des portes et se battre avec une réalité où les rêves d’élévation et le cauchemar de chuter vont sans cesse de paire. Vision d’un monde halluciné, le spectacle de Yoann Bourgeois est une réussite. »
Les Inrockuptibles

SPECTACLE DIRECTEMENT ACCESSIBLE AU PUBLIC SOURD OU MALENTENDANT.

Interview Yoann Bourgeois

Propos recueillis par Caroline Audibert

Cela fait des années que vous jouez vos spectacles hors les murs des théâtres. Est-ce un retour vers la scène qui se produit ?

Ces dernières années, je m’étais effectivement un peu éloigné des théâtres. J’avais investi des espaces qui ne sont pas a priori dédiés au spectacle. J’ai en effet créé des dispositifs pour être autonome et pouvoir aller poétiser des environnements naturels, urbains, des piscines, des musées, des parcs… Jouer partout, c’était mon vœu, en particulier dans des lieux où la culture se trouve un peu délaissée. J’ai posé les jalons de cette approche dès 2014 avec le projet toujours en évolution, Tentatives d’approches d’un point de suspension.
Quand j’ai rencontré Frédéric Biessy qui m’a proposé de créer le spectacle d’ouverture du théâtre Scala qu’il est en train de rénover, j’ai décidé de coller au plus près de ce que peut la cage de scène, et non d’investir la scène comme un lieu de médiation pour un spectacle qui aurait une thématique extérieure au théâtre. La création Scala part véritablement des phénomènes physiques, du monde concret de la scène.

Poursuivez-vous votre exploration du mouvement, qui fait écho aux rouages de l’existence humaine ?

Cette pièce tente de d’aboutir quelque chose que je cherche depuis le début de mes créations, c’est-à-dire depuis huit ans. Je viens du cirque et ce qui m’a toujours fasciné, c’est que les circassiens sont des vecteurs de force plutôt que des acteurs comme on pourrait le dire au théâtre. Dans le langage du cirque, on a affaire à des contraintes physiques très fortes, souvent plus intenses que dans la vie quotidienne. On expérimente un rapport très particulier au mouvement. La première pièce que j’ai créée il y a huit ans par exemple, Fugue / Trampoline, c’est une petite danse spectaculaire où j’évolue en déséquilibre. Je rêvais de ne jamais initier le mouvement, de conduire une chute infinie. Je l’ai fait à l’échelle de 8 minutes, le temps de ce numéro. Depuis je cherche d’autres dispositifs qui pourraient générer du déséquilibre.
La pièce Scala a pris le format plus classique d’une œuvre où toutes les situations naissent d’une réaction en chaîne et d’un déséquilibre permanent. Et présenter des hommes et des femmes qui sont des vecteurs plus que des acteurs, c’est-à-dire qui n’initient pas le mouvement mais qui essaient de faire avec un mouvement qui les dépasse, ça reflète la vision que j’ai de notre humanité, de notre condition.

Où puisez-vous votre inspiration ?

Même si je dirige le centre chorégraphique de Grenoble et que je passe un peu de temps en ville, j’habite dans les montagnes. Vivre au sein de cet environnement, c’est être tout le temps confronté à un environnement bien plus grand que soi. Il y a dans la montagne une disproportion d’échelle et de temps : quand on observe le relief, on voit un mouvement qui n’obéit pas à la temporalité de nos vies humaines. Ce rapport disproportionné entre l’échelle de nos vies et tout ce qu’il y a autour de nous, je le trouve assez bouleversant. Peut-être cette disproportion révèle-t-elle notre fragilité. Dans mes créations, j’essaie moins de donner à voir des corps glorieux qui domptent et triomphent face aux éléments que de mettre en place un contexte qui donne à voir notre fragilité.

Vous parlez de « l’homme traversé », traversé par des forces qui le dépassent. Est-il traversé, comme dans la tragédie grecque à laquelle vous faites parfois référence, par des injonctions sociales, idéologiques, des émotions, des passions ?

Je vais faire un petit détour pour mieux répondre. À chaque fois que j’essayais de comprendre le sens d’un mot, j’ai retenu la définition physique et mécanique des mots, que je trouve éloquente. Et la théâtralité que je recherche, c’est l’éloquence, celle qui est le plus à même d’ouvrir le sens. Générer une prolifération incroyable d’analogies dans des domaines parfois très éloignés. Si on prend le mot « travail », on entend « déplacement d’une force par son point d’application ». Le « jeu » est défini au sens premier comme « l’espace entre deux pièces pour leur permettre de se mouvoir librement ». Je trouve ces définitions extrêmement poétiques, elles ont une amplitude métaphorique très grande. Voilà pourquoi je m’attelle au monde physique avant tout.
L’homme est traversé par des forces, et je parle de forces physiques. Si je fais référence à la tragédie, c’est que j’y vois une sorte de cri analogue. Dans l’épopée, avant la tragédie, les hommes sont mus par les dieux : quand tel guerrier lance sa flèche, c’est tel dieu qui la lance à travers lui. Et plus tard, avec la naissance de la philosophie, on arrive à définir l’homme, comme un animal raisonnable par exemple. Et entre temps, il y a une indécision dans le statut de l’homme : dans la tragédie, on ne sait pas s’il est responsable ou s’il est mû par un dieu. La tragédie grecque pose de manière brûlante la question de ce qu’est l’homme. Je me sens une très grande proximité avec ce problème, même si je conçois que l’homme ait à faire avec des forces physiques et non divines.

Cela pose la question de la liberté. C’est autour de cela que votre travail tourne, au sens où Maurice Blanchot disait que toute œuvre tourne autour d’un centre invisible et inatteignable ?

Dans l’art vivant, on s’autorise assez peu de démarches radicalement processuelles comme les a eues Maurice Blanchot, qui compte beaucoup dans mon travail. Pour ma part, je n’ai jamais eu peur de me répéter et de tourner à l’infini autour de quelque chose. Et à vrai dire, je ne vois pas d’autres chemins pour la création que ceux qui s’effectuent pas à pas, sous forme même de répétitions, de cercles en spirale. C’est un peu la raison pour laquelle j’ai créé des dispositifs qui sont des déclinaisons, des variations, des séries autour de phénomènes et de certains objets. Dans le programme Scala, il y aura encore un rapport à la gravité avec cet escalier qui ne mène nulle part par exemple. C’est parce qu’il ne mène nulle part qu’il pose la question du sens. En le problématisant à cet endroit du vide, on ouvre un champ existentiel.

A la base de votre grammaire, il y a un ensemble de machines, escalier, trampoline, poulie, électro-aimants, plateau pivotant… Tous sont-ils au service de votre quête de l’apesanteur ?

Ces dispositifs autonomes qui mettent en lumière un phénomène s’inscrivent dans une constellation qui grandit à mesure des années, et que j’ai appelée : « tentatives d’approche d’un point de suspension ». C’est le cœur de cette recherche. Plus qu’une thématique de travail, c’est pour moi une quête d’existence. Je ne vois pas d’autre alternative. Les agrès amplifient la gravité, les forces centrifuges, les forces de balancement… La direction que je me donne, c’est de rétablir au sein de ces environnements particulièrement précaires un endroit d’équilibre, un point de suspension. C’est la direction commune dans ma manière d’aborder l’ensemble de ces dispositifs. Au moment où j’écris des spectacles, je m’aperçois que ce que je vise dans mon rapport au spectateur, c’est aussi une forme de suspension. Par suspension, j’entends équilibrage des forces en présence. Je n’aspire pas à vivre dans un monde où il n’y ait pas de rapports de force. Je compose avec les systèmes sociaux et politiques qui sont les nôtres. Et je m’engage moi-même au sein de ce travail dans un rapport de force pour tenter de déjouer ou d’équilibrer les rapports de force, de domination, les tentations du discours ou de la communication. Cela fait sens à un autre niveau. Duchamp disait : C’est le spectateur qui termine l’œuvre. J’appelle cela « éloquence » : quand ça parle sans qu’on ait besoin de parler. Telle est ma recherche.

Est-ce une métaphore de l’existence humaine ?

Les spectacles sont des repères. En science, on appelle cela des « mondes modèles » où on simplifie délibérément le réel en enlevant certaines problématiques qui complexifieraient la recherche et on s’attelle à un phénomène. J’essaie que les formes de spectacles aient des statuts de référent. Mon processus va dans le sens d’une simplification, qui va à l’inverse du cirque. Si j’arrive vraiment à faire tenir quelque chose avec une certaine simplicité, j’espère que cela devienne un repère universel. Ces phénomènes débouchent peut-être sur un langage universel. Quand on a affaire à la gravité, on peut peut-être toucher à une forme d’empathie universelle. Un enfant peut sentir le poids de son corps, comme un vieillard, un Chinois, un Africain. On a tous à porter ce poids.

Au fond, c’est davantage une quête de l’équilibre qui vous anime, plus qu’une fascination pour le déséquilibre et la chute…

L’un ne va pas sans l’autre, de la même façon qu’on ne peut pas aimer absolument la vie en niant la mort. Au fond, si je recrée des environnements où le déséquilibre est particulièrement présent, c’est pour manifester un rapport à la vie où tout est toujours en mouvement et en devenir. Si mes spectacles reçoivent une adhésion, c’est peut-être parce qu’on vit dans un temps de profonde mutation, dans un monde où on sent que tout est en train de basculer. J’ai l’impression qu’il y a cette acuité collective actuelle autour de la question du déséquilibre et de la transformation.

Pensez-vous que l’humanité trouvera ce point d’équilibre, qu’elle va tout faire pour y parvenir ?

J’essaie toujours de déjouer une pensée trop anthropocentriste, de ne pas tout considérer sous le prisme de l’humanité. Je pense que le monde va continuer, que la vie trouvera de toute façon des nouvelles formes, je ne suis ni optimiste ni pessimiste, ce n’est pas la première fois qu’il y a une forme de mutation dans l’histoire. Je ne me fais pas d’illusion, tout cela sera amené à disparaître, comme tout. Je me sens traversé par tout cela, et par un désir de vivre infini, c’est la raison pour laquelle je pense qu’il n’y a rien d’autre que le présent. Il faut tenter de tout son cœur, de vivre dans le temps qui nous est donné. Mes créations essaient d’apprivoiser ce présent, ce temps de suspension, ce moment de grâce.

saison 2018-19
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