Le Dindon

Après Marie Stuart, présenté au TNN en 2024, Maryse Estier met en scène Le Dindon, troisième volet d'un cycle autour des rapports de possession, de séduction et de pouvoir. Dans ce vaudeville, Feydeau pousse l’art du quiproquo à l’extrême et, pour notre plus grande joie, révèle nos contradictions profondes, déchirées entre la paisibilité de nos vies confortables et la sauvagerie de nos passions. Horriblement drôle.

Pontagnac suit une femme dans la rue depuis huit jours parce qu’il en est tombé fou amoureux. Il finit par s’introduire chez elle et se retrouve nez à nez avec son mari. Stupéfaction : il s’agit de Crépin, un vieil ami avocat. Lucienne, honnête et fidèle, consentira à prendre un amant à la seule condition de surprendre son mari dans les bras d’une autre. Crépin, n’ayant au premier abord aucune envie d’aller voir ailleurs, se retrouve pris au piège lorsqu’une de ses anciennes conquêtes le recontacte et menace de se tuer s’il refusait de partager ses draps. Entre infidélités et malentendus, l’intrigue se tisse autour d’une multitude de péripéties surréalistes, de rebondissements, de femmes cachées dans le placard, de maris empêtrés… Les répliques sont mordantes et les échanges insensés, offrant tour à tour à chaque personnage le précieux rôle de “dindon” de la farce.

Appartenant à la nouvelle génération de metteurs en scène qui redonnent vie aux grands classiques, Maryse Estier propose ici une vision audacieuse de Feydeau. En collaboration avec sa complice Clémence Longy, elle en révèle toute la richesse dramaturgique tout en explorant ses facettes les plus décalées. Oscillant entre rêve et cauchemar, Le Dindon de Maryse Estier apaise les tensions pour laisser place à un rire libérateur et salvateur.

L'INTENTION

Le Dindon est une pièce qui me fascine depuis longtemps car son intrigue ne repose en vérité sur aucun enjeu social, ni moral. Il n’y a pas de mariage en vue ; il n’est pas question de la carrière d’un personnage ; personne ne semble se demander si son comportement est acceptable, ni juger celui des autres. La pièce repose essentiellement sur les passions et la justice.
Je m’intéresse beaucoup aux rapports de possession, de séduction et de pouvoir, j’ai eu envie de les explorer dans le genre du vaudeville, parce que je pense que le rire est aussi nécessaire que salvateur dans ces questions-là. Dans Le Dindon, il y a de la violence dans les jeux de pouvoir et de séduction, et pourtant l’on rit quasi systématiquement. C’est parce que ce n’est pas un rire de connivence ou de complaisance. C’est un rire qui fait du bien, un rire qui chasse la peur.
Maryse Estier

Il y a quelque chose de monstrueux dans le personnage dessiné par Feydeau. Un homme, affranchi de toute morale, qui suit les femmes et s’introduit de force chez elles, pour ensuite tenter de les persuader qu’il ne s’agit pas de viol mais d’amour. Et ce qui est encore plus monstrueux, c’est que sa folie sans-gêne est contagieuse. C’est tout un monde qui sombre dans le cauchemar après son intrusion originelle. Là où Feydeau est singulier dans son traitement, c’est qu’il ne fait pas de sa pièce un réquisitoire, il n’essaie pas de dénoncer son personnage pour nous mettre en garde. Au lieu d’en révéler la menace, il la dégonfle. Le Dindon n’a jamais été vraiment dangereux. Il est un animal ridicule dès le début, le plus ridicule de la grande basse-cour humaine. Et si le rire qu’il suscite est si franc, c’est que ce n’est pas un petit rire de moquerie, mais un grand rire de soulagement. On rit devant notre naïveté d’avoir eu tant peur.
Clémence Longy

LA PRESSE

Poursuivant son exploration des classiques, la metteuse en scène romande s’attaque avec ingéniosité à l’un des hits de Feydeau et signe un retour hilarant dans sa Suisse natale.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore, Coups d'Œil